« Oum Al Boulden » (La mère des pays), la nouvelle création théâtrale, mise en scène par Hafedh Khelifa d’après un texte original signé Ezzeddine Madani, a été présentée au Théâtre des régions à la Cité de la culture dans le cadre de la 25e édition des Journées théâtrales de Carthage.
La pièce aborde l’histoire d’un pays, la Tunisie, dont le passé résonne avec le présent dans une approche scénographique moderne par l’utilisation du numérique. 24 comédiens parmi lesquels on compte : Aziza Boulabiar, Jaleleddine Saâdi, Taoufik Khalfaoui, Noureddine Ayari, Abderrahmane Mahmoud et d’autres et un musicien, Ibrahim Bahloul, ont été réunis sur la scène pour interpréter, dans un arabe littéraire abordable, l’époque d’une Tunisie prospère sous le règne du sultanat hafside en 1236.
Pourquoi remonter si loin dans l’histoire et revenir à l’époque des Hafsides ? Ezzeddine Madani, auteur de plusieurs pièces théâtrales d’envergure, n’a de cesse de prôner la démocratie, la liberté artistique et intellectuelle. Mais celles-ci ne peuvent être acquises facilement.
Certains conservateurs sont réticents à cette idée et vont jusqu’aux bains de sang pour préserver leur pouvoir.
Sans entrer dans le détail de l’histoire, Tunis, sous le règne d’Abû Zakaria Yahyâ dit Al Hafsi, devient prospère. Le pays est doté d’édifices administratifs et religieux et devient un grand centre commercial. Les relations avec la Catalogne, la Provence et les cités marchandes italiennes, les communautés chrétiennes se développent. Abû Zakariyâ entretient des rapports cordiaux avec le roi d’Aragon. Dans le même temps; les musulmans d’Espagne, les Andalous, chassés de leur pays, trouvent refuge en Tunisie.
A la mort d’Abû Zakaryâ, son fils Montasser Bellah hérite du pouvoir de son père. Mais très vite, le pays sombre dans l’obscurantisme, la corruption et la décadence. Les infrastructures se détériorent, les caisses de l’Etat se vident et les luttes intestines font rage.
Avec cette immersion dans le passé lointain, « Oum Al Boulden » se confronte fortement avec l’actualité. Le texte comme tous ceux d’Ezzeddine Madani est virulent et coupé au couteau. L’auteur ne pardonne pas certains gouvernants leur abus de pouvoir et leur soif de sang pour garder le trône, et ce, quitte à accomplir des massacres. La pièce est un rappel historique, mais fait office d’un rappel à l’ordre. Le résultat est sans appel dans une lutte de pouvoir, dont les enjeux ne reposent pas sur une bienveillance à l’égard de sujets assouvis, mais à continuer à les oppresser au maximum.
La mise en scène est ample, lyrique et n’est pas du tout obscure, contrairement au propos incisif. La chorégraphie et le chant sont de la partie dans le but sans doute de faire baisser la tension qui règne dans les scènes de tiraillements entre les personnages. D’ailleurs, le personnage de provocateur interprété par Jaleleddine Saâdi interpelle, à un moment de la pièce, le metteur en scène en lui disant que son rôle est difficile et n’est pas du tout en adéquation avec les autres personnages.
Pour les décors, Hafedh Khelifa a utilisé le numérique. Des esquisses de Sidi Mehrez et de Bab Al Falla ainsi que d’autres paysages sont projetés sur un grand écran en arrière-plan de la scène. Les costumes d’époque servent les propos de la pièce. La musique en live exécutée par Ibrahim Bahloul accompagne les scènes, notamment les danses et les chants. Les comédiens ont incarné avec justesse les personnages historiques en prenant soin de ne pas tomber dans le poncif. « Oum Al Boulden » est une pièce à la mise en scène à la fois classique et moderne à laquelle le public a réservé des ovations nourries, saluant ainsi le travail de toute l’équipe.